Pleins feux sur le réalisateur français Philippe Garrel – avec des performances live de Maria W Horn & Mats Erlandsson, Linus Hillborg et Mathieu Serruys
Ceci est un événement à Covid Safe Ticket ! De quoi avez-vous besoin ?
Art Cinema OFFoff s’associe à l’Ancienne Belgique pour vous présenter la Nuit du film expérimental. Après avoir été contrainte au silence, la Nuit revient de plus belle. Cette nouvelle édition sera consacrée au réalisateur français Philippe Garrel (1948) et à ses liens avec l’underground parisien et new-yorkais. L’actrice, mannequin et chanteuse allemande Christa Päffgen (1938-1988), mieux connue sous le nom de Nico, est présente dans tous les films et sera la muse de cette Nuit.
Comme à l’accoutumée, la Nuit combinera la projection de films sur leur support d’origine avec de la musique live (inter)nationale et des bandes-son inédites. Le programme a été concocté par le label gantois B.A.A.D.M., géré par les graphistes Joris Verdoodt et Mathieu Serruys. Ce dernier jouera également un rôle musical, aux côtés de plusieurs artistes de la scène électronique suédoise actuelle : Maria W Horn, Mats Erlandsson et Linus Hillborg.
Poursuivez votre lecture pour découvrir l’intégralité du programme.
La Nuit fera la part belle à deux films rarement montrés de la période underground de Philippe Garrel : Athanor (1972) et Le Berceau de cristal (1975). OFFoff a obtenu du réalisateur une autorisation unique de projection pour ces deux œuvres. Avec La Cicatrice intérieure (1972), diffusée par OFFoff en 2012, elles forment un triptyque consacré à sa Nico bien-aimée. Un triptyque à propos duquel Garrel notait : ‘C’était sans doute l’influence de Warhol’. Nico et Garrel se rencontrèrent en 1969 ; la même année, Nico introduisit Garrel à la Factory, où elle travaillait depuis quatre ans avec Andy Warhol en tant que superstar. Garrel y montra son Lit de la vierge (1969) tout juste achevé à Warhol, qui lui présenta Imitation of Christ (1967), son dernier film avec Nico. Chacun admira le travail de l’autre. Garrel fut séduit par les productions autonomes de l’Américain, créées avec et à propos d’une petite communauté d’amis. ‘Après cette rencontre, ma manière a changé’, déclara-t-il, allant même jusqu’à qualifier Warhol de ‘ciné-père’. Nico Crying, l’un des plus beaux hommages de Warhol à la chanteuse, ne pouvait donc manquer au programme. Warhol réutilisa cette bobine à la fin des Chelsea Girls (1966) – ‘le seul film de ce genre qui m’ait vraiment marqué’, disait Garrel, qui ne le vit d’ailleurs qu’en 1975. Au total, Garrel réalisa sept films avec Nico.
En 1967, l’acteur et réalisateur français Pierre Clémenti fréquentait depuis quelque temps la Factory. Clémenti, qui avait joué dans le même groupe de rock que Garrel, s’engagea avec lui à la fin des années 60 dans le groupe Zanzibar – un collectif radical de cinéastes – et joua aussi dans ses films, parmi lesquels Le Berceau de cristal. Ils intégrèrent tous deux la bande de la Coupole, nommée d’après la brasserie à Montparnasse qui, à l’époque, voyait converger de nombreux acteurs, artistes, réalisateurs et metteurs en scène – disons l’équivalent du Max’s Kansas City pour Warhol et la Factory. Avec Positano, Clémenti réalisa un beau portrait psychédélique de la bande d’amis et d’artistes qui entourait Philippe Garrel lors du voyage où il rencontra Nico.
Ici, vous trouverez une ode à Nico – qui visita Gand avec Garrel – signé par la poétesse, professeure et ancienne directrice artistique d’OFFoff, Sofie Verdoodt.
Le Berceau de cristal (1975, 72’, 35 mm)
Nico est seule dans une chambre, couchée sur un grand lit ; elle lit, écrit des poèmes, fume, se lève et marche de long en large, joue quelques notes sur un harmonium, rêvasse la plupart du temps – le tout dans une succession de plans fixes, et dans une obscurité inquiétante. Peu à peu, le silence devient insoutenable. Nico livre un monologue intérieur constitué de textes qui composeront ‘Purple Lips’ et d’autres titres de son album Drama of Exile. Le Berceau de cristal propose aussi une série de séquences-portraits d’amis gravitant autour de la figure mystérieuse de Nico. Des apparitions hantent ses rêves et ses visions – Dominique Sanda telle une sorte de déesse terrestre préraphaélite, Anita Pallenberg (la muse des Stones) telle une diva de la drogue au rictus diabolique, qui se fait un shoot d’héroïne. Le peintre Frédéric Pardo, ami intime de Garrel qui vivait avec Sanda dans les années 60, est au travail et montre quelques toiles. Garrel apparaît également sous les traits d’un homme qui attend, lui aussi toujours seul, adossé à une colonne de marbre. Garrel : ‘J’ai essayé de filmer mes proches dans le style de la Factory’. Le film a été enregistré dans le monde clos du musée du cinéma d’Henri Langlois, sous la Cinémathèque française, jadis installée au palais de Chaillot. ‘Lorsque le visage de Nico capte la lumière, uniquement pour la restituer à l’obscurité… ’, écrivait le critique Stéphane Delorme à propos de cette rêverie hypnotique et profondément mélancolique.
L’atmosphère onirique, parfois menaçante, est renforcée par la musique ‘space-drone’ éthérée et originale du duo de krautrock Ash Ra Tempel. Lutz Ulbrich, membre du groupe, était un amant de Nico.
Positano (1969, 24’, 16 mm) / Bande-son live : Linus Hillborg
Positano est une île de la côte italienne amalfitaine que Neptune aurait, d’après la légende, créée par amour d’une nymphe. Et l’amour est aussi l’objet principal de ce film, un amour total et solaire. Nichée sur les rochers de l’île, la maison de Frédéric Pardo et de l’actrice Tina Aumont était à l’époque un lieu de rencontre pour la communauté underground. En 1969, après le tournage du Lit de la vierge de Garrel à Marrakech et Grottaferrata, l’équipe part s’y reposer. Souhaitant immortaliser l’idylle, l’acteur et réalisateur Pierre Clémenti tourne des images psychédéliques, multiplement éclairées, d’une sensualité éblouissante. Nous y apercevons des superstars de la Factory, Viva mais aussi Nico, que Garrel venait tout juste de rencontrer à Rome et qu’il avait aussitôt accompagnée dans ce voyage. Outre le regard intime et amoureux que Clémenti pose sur les visages et les corps dans ce paysage méditerranéen, le film révèle la beauté émouvante d’une utopie où le vivre-ensemble se réalise dans une création artistique permanente. Notons que Nico y composa des morceaux pour son prochain album solo.
Le film est introduit par Balthazar Clémenti, qu’on découvre enfant dans le film aux côtés de ses parents Pierre et Margareth Clémenti. Sa mère figure aussi dans Le Berceau de cristal, notamment ; quant à Balthazar, on le retrouve dans La Cicatrice intérieure.
Le compositeur/artiste sonore suédois Linus Hillborg (SE) est actif sur plusieurs plans, allant de la musique expérimentale aux installations audiovisuelles, en passant par des groupes de post-punk et de noise. Dans son œuvre solo, il se concentre sur le caractère ‘temporaire’ du son. Il combine la synthèse analogique modulaire avec sa propre synthèse numérique programmée, des instruments acoustiques, des éléments improvisés et diverses techniques d’enregistrement à bande magnétique. Sur son nouvel album Magelungsverket (Moloton, 2021), il entraîne les auditeurs dans des soundscapes désespérés, nourris d’arrangements orchestraux électroacoustiques qui s’imprègnent d’une riche et harmonieuse synthèse sonore.
Athanor (1972, 20’, 35 mm) / Bande-son live : Mathieu Serruys
Nico, gardienne du feu, entre les tombes, dans les miroirs et les châteaux. Athanor se compose de treize intenses séquences de poses prises par Nico et le mannequin Musky. L’athanor est le creuset des alchimistes. Avec Le Révélateur (1968), Les Hautes Solitudes (1974) et Le Bleu des origines (1978), Athanor fait partie des films expérimentaux muets de Garrel.
L’œuvre de Mathieu Serruys (BE) est caractérisée par des tape loops filmiques et paysagères, et des nappes de synthé érodées. Son album le plus récent, Skin/Glove (B.A.A.D.M., 2019), approfondit l’intensité physique, les textures granuleuses et les mélodies émotives de son premier opus, pour construire une œuvre conceptuelle mature qui exprime de façon pénétrante sa quête non seulement musicale, mais aussi personnelle : celle de l’accomplissement de soi.
Nico Crying (1966, 33’, 16 mm) / Bande-son live : Maria W Horn & Mats Erlandsson
En 1966, Andy Warhol filme Nico pendant une heure tandis que des motifs psychédéliques et d’éblouissantes lumières colorées dansent sur son visage. Des projections et jeux de lumière similaires caractérisent les spectacles multimédias de The Exploding Plastic Inevitable, que Warhol organise la même année avec le Velvet Underground et Nico. Nico devient un écran, son visage un masque et une surface. Lorsque Warhol entame sa deuxième bobine, Nico craque et fond en larmes. Nous projetons cette seconde moitié de Nico/Nico Crying (1966, 66’), que Warhol recombina lui-même en guise de fin pour les Chelsea Girls (1966). La caméra effectue des zooms avant et arrière sur le visage sublime de Nico, ses lèvres, ses cils lourdement maquillés, sa coiffure à frange teinte en blond. Warhol enveloppe la superstar d’un voile de mystère psychédélique. Nico reste assise, silencieuse, et regarde autour d’elle tandis que Warhol réalise son portrait.
La compositrice Maria W Horn (SE) nous vient du nord de la Suède. Elle s’intéresse à la manipulation du temps et de l’espace par l’exploration des extrêmes sonores. Ce faisant, elle combine des techniques de synthèse analogique et numérique avec des instruments acoustiques et des composantes audiovisuelles. Son œuvre est une étude de la perception humaine – la façon dont les phénomènes psychoacoustiques, l’audiovisuel et l’excès ou la perte de stimuli perceptifs peuvent s’allier pour transcender le quotidien et susciter des états psychiques alternatifs. Maria W Horn fait partie de la Sthlm Drone Society, une association qui promeut la musique timbrale, à l’évolution lente et progressive. Elle collabore aussi avec le label XKatedral.
Mats Erlandsson (SE) est un artiste sonore et compositeur de musique électroacoustique basé en Suède, qui recourt essentiellement à la synthèse modulaire. Il fait partie de la drone scene dynamique de Stockholm.
Erlandsson et Horn ont collaboré par le passé dans le cadre de performances sur un orgue à tuyaux lors de l’Elevate Festival à Graz (2021).
Photo: Philippe Garrel-Athanor