Gare de Berchem, mercredi minuit, une vieille connaissance me demande comment ça se passe à l'AB. Je lui réponds « Formidable. On a récemment fait un joli score dans un magazine professionnel international et je viens de voir Indochine. « Indo-qui ? » me répond-il , « Le remake du film ? ». Non, Indochine, un groupe français quasi inconnu en Flandre qui fait un véritable tabac en Wallonie. Le genre du groupe qui remplit six fois Forest National les doigts dans le nez et qui affiche complet au Stade de France (80.000 tickets !), plus d'un an à l'avance.
« Et ils étaient à l' AB ? » Yep, l'AB reçoit des artistes de partout dans le monde mais cela doit faire bien longtemps qu'on n'avait pas connu un tel ramdam autour de la vente de tickets pour un concert. Des mails incendiaires, des coups de fil menaçants, des fans dépités ... Pendant deux jours, on ne parlait que d'eux à l'AB.
Mercredi soir, nous nous demandions encore quel équivalent on pouvait trouver du côté néerlandophone ou anglophone et nous étions bien incapables de citer un nom. Des fans campaient déjà devant les portes 36 heures (!) avant la première note. Mais qu'est-ce qui peut bien animer nos compatriotes francophones ?
Encaqués dans des cartons et enveloppés dans leurs couvertures de survie, ils ont passé la nuit dehors, dans un froid glacial, pour pouvoir voir leurs héros depuis le premier rang. Ou plutôt leur héros.
Le leader d'Indochine, c'est Nicola Sirkis, un homme élevé à l'élixir de Jouvence. Depuis la création du groupe (en 1981 !) et onze albums plus tard, il donne toujours l'image d'un jeune Adonis alors qu'il a séduit plusieurs générations. L'amour des fans et envers les fans : un seul geste de la main et toute l'AB reprend ses paroles en choeur. Une masse en délire, des larmes d'émotion et l'hystérie collective de mise, des centaines de GSM allumés et une fête incroyable qui dépasse largement les 100 décibels ! Et au milieu de cette liesse, votre serviteur, qui s'y connaît pourtant bien en musique, et qui, hormis un bout de reprise (“you spin me 'round” de Dead or Alive), ne (re)connaît pas la moindre chanson, ni même un refrain. Where did we go wrong? Nous ne pouvions qu'assister et constater...
Entre-temps, Sirkis manoeuvrait la foule de l’Ancienne Belgique comme s'il s'agissait de la Belgique entière. Sirkis semblait bien au courant des sales pratiques du marché noir (où des tickets étaient proposés à plusieurs centaines d'euros), comme en témoigne son discours « On va niquer le marché noir », ce à quoi un fan un peu trop enthousiaste répondit : « Et les Flamands aussi ! ».
Un homme plus sage que moi a un jour dit qu'on reconnaissait un pays à la culture qu'il produit et qu'il consomme. Le lendemain, nous n'avons pas trouvé une seule ligne dans la presse flamande sur le raz-de-marée causé par Indochine. J'ai en vain tenté de l'expliquer à ma femme originaire de Tasmanie mais je retombais sans cesse sur cette phrase de Rudyard Kipling : “East is east and west is west, and never the twain shall meet.” Longue vie à Indochine et ses fans ! Longue vie au surréalisme belge ! Longue vie à l'AB !
Le camping Indochine boulevard Anspach
Des fans d'Indochine dans la rue des Pierres
Photos de la photographe attitrée de l'AB: Karen Vandenberghe