"J’ai beaucoup de bons amis queer qui habitent à Bruxelles, cette ville est donc un lieu sûr pour moi. Je regrette que des événements comme la Pride n’aient lieu qu’une fois par an et que toutes les grandes entreprises s’en emparent aujourd’hui."
Avec Faces of AB, nous allons à la rencontre d’un habitué ou une habituée de l’AB. Ensemble, nous évoquons Bruxelles, cette drôle d’époque que nous vivons, et notre salle emblématique. Pour cette édition, nous avons donné rendez-vous à Michelle Geerardyn.
"Je m’appelle Michelle, j’étudie Gender en Diversiteit (Genre et Diversité) à l’université de Gand, et je suis la photographe attitrée de l’AB. Je suis aussi rédactrice pour Indiestyle et j’écris depuis peu pour la plateforme de photographie BreedBeeld. Je travaille actuellement à un podcast avec l’asbl Kinky Star (et Ange Nsanzineza), dans lequel nous questionnons le statu quo de l’industrie musicale. Nous évoquons la problématique de Spotify par exemple, qui ne rémunère pas bien ses artistes. Le premier épisode sortira à la mi-mai.
À vrai dire, j’étais étonnée qu’on m’invite pour ce podcast – moi, une fille introvertie de Flandre occidentale. Mais aujourd’hui, j’y prends beaucoup de plaisir, c’est tout un défi. J’aimerais beaucoup apprendre à jouer de la guitare basse, mais je n’ai pas encore eu le temps. Souvent, quand j’entends un morceau et je me dis ‘c’est bon ça !’, c’est à cause de la ligne de basse.
J’y venais déjà souvent pour les concerts, et d’autant plus quand j’ai commencé à écrire pour Indiestyle. D’ailleurs, c’est chez Indiestyle que je me suis convertie à la photographie de concerts. Je passais donc régulièrement à l’AB et, il y a deux ans, on m’a invitée à photographier le festival BRDCST. Or il se trouve qu’à la même époque, l’AB cherchait un nouveau photographe attitré. J’aimais tellement notre collaboration que j’ai posé ma candidature, non sans un petit coup de pouce de mes amis.
Beaucoup de gens me plaignent, parce que ma mission de photographe attitrée coïncide avec la crise du coronavirus et que je n’ai pu travailler qu’une demi-année dans des conditions normales. Mais je ne suis pas aussi négative. J’ai immortalisé de nombreux projets uniques. L’épidémie a généré des opportunités et des images inédites. L’une de mes photos les plus absurdes, je l’ai réalisée lorsque les étudiants venaient passer leurs examens sur la scène de l’AB.
Mon histoire avec Bruxelles a été longue à la détente, elle n’a commencé qu’au moment où je me suis mise à enchaîner les concerts. Mais maintenant que j’ai l’AB, et quelques-uns de mes meilleurs amis qui habitent ici, je me sens de plus en plus chez moi dans cette ville. J’ai vécu des moments difficiles pendant la crise sanitaire, et je venais alors à Bruxelles pour me ressourcer – ce qui peut sembler étrange, mais c’est ici que je trouvais les bonnes personnes. Et en plus, on peut se fondre dans l’anonymat de la capitale.
Mon rapport à la Pride est double, car mon coming out a été un peu forcé. Quelqu’un l’a fait à ma place, d’une façon très dramatique. Du coup, j’étais bien obligée d’en parler à mon entourage, mais à vrai dire, je n’étais pas du tout prête. Après ça, je me suis détournée de la Pride pendant un bon moment, parce que je n’avais pas pu faire les choses à ma manière. Cela dit, toutes les réactions à mon coming out étaient super positives, chaleureuses et même enthousiastes. Et j’ai réussi à trouver ma propre communauté. Donc aujourd’hui, j’ai envie d’en faire partie et je l’attends avec impatience.
Cette année, avec le thème #WeCare, le Pride Month s’inscrit sous le signe de la santé physique, mentale et sociale. Je trouve les sujets super importants. Selon moi, ces problèmes sont le résultat d’une société de plus en plus libérale, capitaliste, orientée à droite. Les institutions patriarcales au sein desquelles nous évoluons font voler les liens en éclats. Afin de guérir en tant que société, la révolution consistera selon moi à se montrer vulnérable, avouer notre interdépendance et aller résolument à la rencontre d’autrui. Nous ne devons pas toujours être si indépendants et individualistes, je trouve. C’est aussi pour ça que je suis très heureuse que le couvre-feu ait été levé et qu’on puisse à nouveau se retrouver à dix. Ça rétablit le sens du groupe, du collectif.
J’ai beaucoup de bons amis queer qui habitent à Bruxelles, cette ville est donc un lieu sûr pour moi. Je regrette que des événements comme la Pride n’aient lieu qu’une fois par an et que toutes les grandes entreprises s’en emparent aujourd’hui.
Je me souviens très bien de la journée des droits des femmes à l’AB l’année dernière. Le bâtiment était couvert d’affiches, le message ‘respectez-vous’ était tellement présent et dans ta face, ça me faisait tellement du bien. J’avais enfin l’impression de ne pas devoir être sur mes gardes. C’est là que tu sens le contraste avec tous les autres jours de l’année, et que tu te dis : ‘Pourquoi ça ne peut pas toujours être comme ça ?’ Chacun a le droit de se sentir en confiance, partout et en toute situation. Ça devrait fondamentalement être le cas pour tout le monde, et pas seulement pour un groupe précis. En fait, je trouve étrange qu’on en soit toujours là.
Interview: Lara Decrae
Photos: Lien Peters